Quand les politiques méditeront...
Notre civilisation est en crise. Économique, financière, écologique, sociale, morale… Le monde marche sur la tête. Beaucoup de spécialistes s’accordent à dire que tout est à revoir. Et si c’était l’opportunité de faire émerger d’autres fondements, plus spirituels ? Quand les politiques méditeront chaque matin… Grand format.
Imaginez la règle d’or Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse inscrite sur le fronton de l’Elysée, et les accords toltèques sur celui de Matignon. Imaginez que chaque conseil des ministres commence par trente minutes de méditation. Que tout responsable politique, avant sa prise de fonction, doive participer à un séminaire sur la « pleine conscience » ou la psychologie positive. Puis qu’il soit obligé de suivre annuellement une retraite ou une initiation spirituelle, et de s’impliquer comme bénévole dans une action sociale. Impossible, direz-vous, ces gens sont débordés.
« J’ai beaucoup de travail, il faut que je prie une heure de plus », rétorquait Martin Luther King. Car prendre le temps de se recentrer sur son intériorité, de se distancier un moment du flux incessant des activités, surtout quand on exerce des responsabilités, n’a rien de superflu. Pas juste pour aborder les événements avec plus de sérénité, afin d’être moins stressé donc plus productif, mais parce que ces pratiques, neurosciences à l’appui, rendent plus solide, plus clairvoyant, plus créatif. Mieux : petit à petit, elles nous font ressentir notre lien intrinsèque au vivant, ainsi que l’harmonie – et la responsabilité – qui en résultent. Pas du luxe, dans une société dominée par l’envie d’avoir et de pouvoir, la lutte des ego, les postures et le clientélisme.
Crise de sens
Ce n’est pas un scoop : notre civilisation est en crise. Matérialiste, emballée par le « toujours plus, toujours plus vite », elle marche sur la tête. Qui n’a jamais eu l’impression d’être un pion dans un système aussi absurde que cynique ? Qui n’a pas été révolté en regardant des documentaires sur l’état du globe ? Qui n’a jamais eu le sentiment de vivre hors sol, mécaniquement, en passant à côté de l’essentiel ? « Tout s’achète, tout se consomme, tout se périme. L’ensemble du monde est gouverné par la peur et la cupidité. Le progrès n’est attaché qu’au seul bénéfice du conditionnement matériel », se désolent le Dalai Lama et l’ancien résistant et diplomate Stéphane Hessel dans Déclarons la paix. « Alors que nous pensons consommer les plaisirs de ce monde, ce sont eux qui nous consomment et nous consument. Ils nous coupent de la conscience de nos besoins essentiels, ceux qui nous donnent une joie durable lorsqu’ils sont assouvis », ajoute Pierre Rabhi, précurseur de l’agriculture biologique, fondateur du mouvement Colibris.
A force de jouer le jeu d’un système qui nous aliène et exploite le monde comme une marchandise, on en a perdu le sens. Quand on essaie de dénouer le fil, on se rend compte que tout est imbriqué. Les déséquilibres sont profonds. Voire existentiels, puisqu’ils menacent la vie même de notre planète et nous interroge sur ce à quoi on participe. « L’avidité de notre société est liée à un manque », commente Alain Chevillat, fondateur de l’association Terre du Ciel. « Coupé de son intériorité, de son lien au vivant, l’homme a perdu le sens et l’unité de la vie. Il ne peut être en plénitude. »
« Le paradoxe d’Easterlin établit scientifiquement qu’à partir d’un certain niveau de PIB, sa hausse ne fait plus le bonheur », explique Alexandre Jost, fondateur de la Fabrique Spinoza, think-tank consacré au bien-être citoyen. Au-delà d’un seuil, tout ajout de richesse financière expose même à l’angoisse et la dépression, renforce l’individualisme et rend moins heureux. La courbe de consommation des antidépresseurs ne progresse-t-elle pas dans plusieurs pays d’Europe au même rythme que celle du PIB ? « Nous ne savons pas nous contenter de ce que nous avons, parce que d’autres ont davantage. »
Conscients du malaise, beaucoup se tournent vers le développement personnel. Un outil précieux pour mieux se connaître, trouver en soi davantage de sérénité, de force et de joie. « Loin d’être égoïste, ce travail conduit nécessairement à une amélioration de la qualité de nos relations avec les autres et avec le monde », estime le philosophe, sociologue et historien des religions Frédéric Lenoir. « Et nous souhaitons pour le monde ce que nous nous souhaitons à nous-mêmes de meilleur : la paix et l’harmonie. » Alexandre Jost confirme : « Les dernières études montrent qu’au-delà du sentiment de plaisir et de satisfaction, le bonheur réside dans notre relation à quelque chose de plus vaste que nous – les autres, le monde, ou toute autre transcendance ». Le bonheur, « cette résonnance intérieure en harmonie avec le règlement de l’univers », selon Pierre Rabhi…
Évolution culturelle
Face à cette « crise d’une humanité qui n’arrive pas à exercer son humanité », dixit le philosophe Edgar Morin, c’est toute une culture qu’il faut changer. « Comme le pensait Einstein, il est impossible de résoudre un problème en restant dans les dispositions d’esprit qui l’ont généré », souligne Frans Goetghebeur, ancien président de l’Union bouddhiste européenne, dans Une vision spirituelle de la crise économique. « Nous ne nous en sortirons pas sans une révolution des mentalités, une révision profonde de nos manières de voir, de penser et d’être. »
Vers ce que Pierre Rabhi qualifie de « sobriété heureuse », nourrie par la prise de conscience de notre appartenance à un grand tout, pierre angulaire d’une approche moins dualiste (homme/nature, eux/nous, j’ai raison/tu as tort), capable d’embrasser l’interdépendance, la relativité, la complexité. « Au-delà des catégories, des nationalismes, des idéologies, des clivages politiques et de tout ce qui fragmente notre réalité commune, le temps est venu de faire appel à l’insurrection et à la fédération des consciences pour mutualiser ce que l’humanité a de meilleur et éviter le pire, clame-t-il. Par “conscience”, j’entends ce lieu intime où chaque être humain peut en toute liberté prendre la mesure de sa responsabilité à l’égard de la vie et définir les engagements actifs que lui inspire une véritable éthique pour lui-même, pour ses semblables, pour la nature et pour les générations à venir. » Dans cette perspective, Stéphane Hessel et le Dalai Lama recommandent l’introduction du progrès de l’esprit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, où ne figure pour l’instant que le progrès scientifique.
Cultiver son intériorité. Prendre de la hauteur et de la profondeur. Ressentir l’âme de l’univers, de la vie, des gens. Les remettre au centre. Voir le travail (karma en sanscrit) comme une forme de réalisation. Cultiver l’enthousiasme, l’humour, la gratitude. Choyer et préserver les beautés de la nature et du monde. Alléger ses besoins matériels. Préférer l’être à l’avoir, la qualité à la quantité, la curiosité à la peur, l’ouverture au cloisonnement, la diversité au formatage, la coopération à la compétition… « Pas par devoir moral, mais parce que c’est une source d’épanouissement ! souligne Alexandre Jost. Des tas d’études le prouvent. Si je donne deux dollars à des étudiants, ceux qui en utilisent un pour eux et un pour quelqu’un d’autre, en seront plus heureux, plus durablement, que ceux qui ont tout dépensé pour eux. »
Une transformation à laquelle les sagesses traditionnelles, ou toute autre forme de cheminement intérieur, peuvent participer. « Elles offrent des pratiques, des codes, des ressources et des recommandations pour nourrir cette mutation ; en nous reconnectant à la source de l’humanité, elles nous permettent de retrouver sens, éthique et énergie, afin de sortir du sentiment d’impuissance et d’agir », déclarent les signataires du manifeste d’Avalon, à l’issue du forum Economie et Spiritualité organisé par l’université Rimay-Nandala en septembre 2011.
Sans ethnocentrisme : certains peuples ne nous ont pas attendus pour vivre en conscience, chaque culture à ses spécificités, et ceux qui ne disposent pas de conditions de vie décentes peuvent à juste titre « en vouloir à ceux qui les exploitent, rappellent Stéphane Hessel et le Dalai Lama. La pauvreté menace l’harmonie sociale, favorise la souffrance et les conflits armés. La priorité doit donc être la construction d’un monde où l’on résout les inégalités et où l’on cesse de nuire aux autres », fondé sur des valeurs indiscutables telles que la justice, la dignité ou le respect. Par exemple par la révision de nos habitudes alimentaires, estime Pierre Rabhi : « Il faut quinze fois plus d’eau pour produire un kilo de bœuf qu’un kilo de céréales. Il serait sage et humaniste de réduire notre consommation de viande à une ou deux fois par semaine. »
Vœu pieu de philosophes un peu trop idéalistes et de psychologues un peu trop positifs ? Même pas. Jacques Attali, familier des arcanes du pouvoir et homme d’influence politique s’il en est, ne dit pas autre chose. Dans Une brève histoire de l’avenir, il prédit l’avènement d’un monde altruiste, où « la rébellion contre l’inéluctable sera la règle, l’insolence de l’optimisme sera la morale, la fraternité servira d’ambition »… Même s’il pense que l’humanité ne se mettra en branle qu’au pied du mur, après moult désastres écologiques et conflits meurtriers.
L’économiste américain Jeremy Rifkin, auteur d’Une nouvelle conscience pour un monde en crise, soutient également que l’avenir passe par l’empathie. « La déconnexion actuelle entre notre vision pour la planète et notre aptitude à la concrétiser s’explique par un état de conscience encore formaté par les ères précédentes. A l’heure où les forces de la mondialisation s’accélèrent, s’approfondissent et se complexifient, tout indique que les anciennes formes de pensée deviennent dépassées et même dangereuses dans leurs efforts pour piloter le monde. L’émergence de la conscience empathique sera probablement un changement d’avenir aussi gigantesque et profond que lorsque les philosophes des Lumières ont renversé la conscience fondée sur la foi par le canon de la raison. »
Les économistes français Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg plaident aussi à leur façon pour une telle évolution, via la réactivation de la notion (politiquement audible) de confiance. « Incapables de s’estimer mutuellement, on se méfie de tout, des autres en général, des collègues, des supérieurs hiérarchiques, des fournisseurs, des patrons, des politiques, des entreprises, des riches et aussi des pauvres ! » écrivent-ils en préambule de La fabrique de la défiance. « Nous souffrons d’un manque de coopération et de réciprocité. Notre défiance n’est pas un héritage culturel immuable, elle résulte d’un cercle vicieux où le fonctionnement hiérarchique et élitiste de l’école nourrit celui des entreprises et de l’Etat. Elle résulte aussi d’une logique corporatiste, où chaque groupe essaye de tirer au mieux parti du bien public, le plus souvent au détriment des autres. »
Toute révolution est d’abord intérieure !
Est-ce à nos dirigeants de guider et d’incarner cette évolution des consciences ? « Malgré toute leur bonne volonté, si les gens ne sont pas prêts, les responsables politiques ne pourront rien mettre en place », estime Marc Luyckx, ancien conseiller de Jacques Delors à la Commission européenne. « Ce serait comme un général sans troupes. Pour basculer vers un autre paradigme, il faut atteindre une masse critique de convaincus. A la société civile d’innover. Le politique est là pour faciliter, soutenir, promouvoir. » « Dans une démocratie, les élus sont le reflet du peuple », rappelle Eric Vinson, créateur du module Politique et Religion à Sciences Po, dans l’émission Les racines du ciel (France Culture, février 2011). « A nous de nous interroger sur notre société. »
A chaque citoyen, donc, de balayer devant sa porte et de s’emparer du problème, au nom même de la spiritualité. « Nous avons besoin d’un nouveau type de militant : le militant existentiel », analyse l’économiste belge Christian Arnsperger. Quelqu’un dont la sagesse n’est pas juste un moyen de mieux vivre au sein du système, bien au chaud dans son monde intérieur et sa petite bulle de bonheur personnel, mais de profiter de la clairvoyance et de l’énergie qu’elle procure pour s’investir. « Et, sur cette base, faire de la spiritualité une pratique politique, à la fois de changement de soi et de revendication d’évolution vers de nouvelles structures, de nouvelles interactions économiques et de nouvelles gouvernances. »
Mais s’il ne faut pas tout attendre des dirigeants politiques, ces derniers doivent prendre la mesure de leurs responsabilités. Parce qu’il leur appartient de promulguer les initiatives de terrain au rang de nouvelles normes sociales et culturelles, et de les faire respecter. Parce qu’on attend d’eux qu’ils ne soient pas que des gestionnaires à la petite semaine, bricolant un système à bout de souffle, mais qu’ils incarnent des visions, impulsent des valeurs, osent bousculer l’ordre établi, s’émanciper des préjugés et des pressions, et soutenir la diffusion de modèles alternatifs. Au-delà des discours, leur volonté d’évolution vers un monde plus sensé doit s’incarner dans des actes forts, concrets, cohérents. Par leur démarche, leur attitude, ils doivent aussi nous inspirer.
Et pour l’instant, force est de constater que ce n’est pas leur priorité. « Selon une étude lexicologique menée entre le 1er janvier et le 30 juin 2010 sur 35 personnalités politiques, aucun mot en lien avec le bien-être n’a été répertorié, indique Alexandre Jost. La recherche en psychologie positive montre que le bonheur tient à 50% à nos capacités innées, 10% à nos conditions de vie, 40% à nos choix et perceptions du monde. Nos dirigeants ne considèrent que le deuxième facteur. Et s’ils s’intéressaient au troisième ? »
« De quoi ont-il peur ? Le but n’est-il que de vivre pour le sensationnel, le clinquant, le débat du moment ? »
s’étonne le moine bouddhiste Matthieu Ricard. « L’amour et l’empathie n’ont rien de ringard, revendique Pierre Rabhi. Ce sont des vibrations profondes qui dégagent une énergie énorme dont le monde a grandement besoin. » Pour les faire émerger, il est temps de leur donner une dimension politique, dynamique et dépoussiérée, qui s’affranchisse des postures – éthérée d’un côté, prosaïque de l’autre.
D’autant que l’histoire a prouvé qu’un homme ou une femme d’exception, mu(e) par une vision du monde façonnée par sa démarche spirituelle, est capable de bouger des montagnes. Exemple le plus frappant : Gandhi, par ce qu’il était, et par tous les gens qu’il a inspiré – de Martin Luther King à Vaclav Havel, en passant par Desmond Tutu, Steve Biko et Nelson Mandela en Afrique du Sud, Aung San Suu Kyi en Birmanie, ou Lech Walesa en Pologne.
Quand le leader indien déclare « soyez le changement que vous souhaitez pour le monde », il suggère que l’action sur soi nourrit l’action politique. Si sa pensée est si robuste, c’est qu’elle n’est pas une idéologie, mais l’application, concrète, d’une vision du monde, de la place qu’on y occupe et de ce qu’on en fait. Son engagement n’est pas une soif de pouvoir, ni même un élan moral ou humaniste, mais le fruit d’un cheminement personnel : face à ses démons ou ses indignations, ne pas rester les bras ballants et la gorge nouée mais agir, tirer le fil, s’impliquer. Pour soi, pour les autres. De la justesse à la justice. De la cohérence à la cohésion.
Une gouvernance plus spirituelle ?
Premier round : admettre que la spiritualité peut être une ressource, rompre le tabou qui laisse les frustrations se développer et les déviances prospérer. « Tant qu’on n’aura pas de discussion publique, positive et proactive, qui réaffirme les pratiques spirituelles comme une source d’inspiration et de coopération, on laissera certains instrumentaliser le discours au profit de la division et de la destruction », estime l’activiste américain Eboo Patel, conseiller du Président Obama sur les relations inter-religieuses.
Puis, surtout, se relever les manches pour remettre à plat le système actuel et avancer vers un nouveau modèle, plus holistique et plus éthique.
Bonne nouvelle : des signes existent, des initiatives se multiplient. En 2008 et 2009, l’Equateur et la Bolivie ont inscrit le bien-vivre à leur Constitution – au sens d’une société solidaire, en harmonie avec la nature. Le président bolivien a diminué son salaire de moitié pour développer l’emploi dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Son homologue uruguayen reverse 87% de sa rémunération aux plus démunis…
Plus largement, il s’agit de promouvoir les pratiques qui font déjà vivre, sur le terrain, une logique alternative, afin qu’elles deviennent la norme. Modes de production qui préservent les ressources naturelles et le bien-être des travailleurs. Consommation raisonnable et respectueuse de toute forme de vie, dans la lignée de l’élan donné par le commerce équitable. Généralisation de l’agriculture fermière et biologique. Soutien des énergies vertes et de l’éco-conception. Management à taille humaine, souple et coopératif, sortant du schéma « commande, contrôle, conquête ». Banques éthiques, encadrement strict de la spéculation. Entrepreneuriat social et solidaire, dont le but n’est pas de maximiser les profits, mais de répondre à des problématiques sociétales (lutte contre l’exclusion et la pauvreté, accès au logement, défense de l’environnement, promotion de la culture et de l’éducation...), via l’investissement des bénéfices au sein de l’entreprise ou dans d’autres projets d’utilité publique. Encadrement des écarts de rémunération, voire indexation des salaires en fonction du rôle social...
L’évolution passe aussi par la conception d’autres indicateurs que le PIB – qui additionne les seuls flux monétaires, sans se soucier de qualité ni d’éthique. Objectif : mesurer la capacité de nos sociétés à développer un bien-être durable et partagé. « L’OCDE a mis en place un indice du mieux-vivre assez complet qui inclut onze critères, dont le respect de la planète et la réduction des inégalités, souligne Alexandre Jost. Avec la Commission Stiglitz, l’Etat français aussi s’est penché sur la question, mais ses travaux sont restés lettre morte. Il faut relancer la dynamique, en l’ouvrant à d’autres gens que des économistes. Pourquoi pas des spirituels ? Sans oublier le public, via une grande consultation citoyenne. » Jusqu’à sortir, un jour, de la quantification : « L’essentiel de nos vies, à un moment donné, sort du chiffrage », estime le philosophe Patrick Viveret, auteur de Repenser la richesse. L’amour ne s’évalue pas en nombre de caresses, notre liberté ne se déduit pas de la somme des détenus...
D’où la nécessité d’accompagner la mise en place d’une économie dite consciente, relationnelle ou du partage, par un changement de paradigme à d’autres niveaux. Pour Jacques Attali, il faut mettre le paquet sur la qualité des infrastructures urbaines, la culture pour tous, la démocratie participative, la place des femmes et des minorités. Edgar Morin souligne la nécessité de changer la justice, en investissant dans la réinsertion plutôt que dans les prisons, « couveuses de criminalité ». Pierre Rabhi appelle à reconsidérer nos loisirs, dans une dynamique « illimitée » de lien humain et de créativité : « Passer du temps avec les siens, s’investir dans des associations, pratiquer un art, découvrir la flore, apprendre à faire des choses de ses mains, lire, écrire, se relaxer… » Dans le domaine de la santé, des médecins plaident pour une approche plus globale et plus préventive. Pourquoi, par exemple, ne pas rembourser les pratiques qui renforcent le système immunitaire, comme le sport ou la méditation, et moins la prise de médicaments ?
Ces enjeux nécessitant une coopération – et un encadrement – au plus haut niveau, une politique plus spirituelle passe également, pour beaucoup d’analystes, par la création d’instances planétaires « nanties d’une âme forte », dixit Pierre Rabhi, « où chacun vaudra et influera autant qu’un autre », espère Jacques Attali.
Autre idée suggérée par le Dalai Lama : la création d’un comité de sages, composé d’une dizaine de femmes et d’hommes « dignes de confiance, émancipés du pouvoir, seulement intéressés par le bien-être de l’humanité, sélectionnés pour leurs compétences, leur sagesse et leurs multiples origines culturelles ». Son rôle : conseiller le Secrétaire général de l’ONU et l’aider dans ses choix, en lui apportant un éclairage différent des arguments politiques partisans.
Dynamique transformative
Levier-clé : l’éducation. « Il ne faut pas se demander seulement quelle planète on va laisser à nos enfants, mais quels enfants on va laisser à la planète ! plaide Edgar Morin. Nous avons été formés à penser le monde par morceaux. Pour traiter les problèmes qui nous assaillent, il faut nourrir les consciences de complexité, de lien, d’ambivalence. »
La coopération s’apprend, la confiance (en soi et dans les autres) se construit. Pas via des leçons de morale toutes prêtes, mais la mise en place de programmes qui permettent aux jeunes d’en faire l’expérience et d’avancer par eux-mêmes. « Au XVIe siècle déjà, Montaigne disait qu’éduquer un enfant ne signifie pas remplir un vase, mais allumer un feu, indique Frans Goetghebeur. Un véritable maître vous apprend à reconnaître, à expérimenter la nature de votre propre esprit et à lui faire confiance. Il met en branle une dynamique transformative qui s’adresse au potentiel de chaque élève et l’active. » Via par exemple, comme cela se fait déjà ici et là, l’apprentissage à l’école de techniques simples de méditation, dans une optique très pratique de concentration, de disponibilité d’esprit, de capacitation à maîtriser ses pensées et ses émotions. Ou l’organisation d’ateliers coopératifs permettant aux jeunes, à partir de problématiques concrètes, de construire leur réflexion au contact des autres, se retrouver sur des valeurs communes et s’investir ensemble sur des projets d’utilité sociale.
Savoir-être, écoute, intelligence émotionnelle, médiation, leadership, créativité, flexibilité, prise de risque… « Il faut aussi s’engager dans une nouvelle définition de la réussite, non plus basée sur la comparaison par rapport aux autres, mais sur le principe de faire toujours du mieux qu’on peut, au profit du plus de bien possible, en commettant le moins de mal, en paroles et en actes », souligne Bill Drayton, fondateur d’Ashoka, une association internationale de soutien aux entrepreneurs sociaux, qui vient de lancer une initiative mondiale pour que l’empathie soit reconnue comme l’une des compétences fondamentales à acquérir à l’école (et lancé un concours pour faire remonter les meilleures pratiques).
« L’aspiration à un monde meilleur a toujours guidé l’humanité, elle ne mourra qu’avec elle. Mais l’aspiration ne suffit pas, il faut que nous luttions pour qu’une conscience se développe et trouve le chemin, commente Edgar Morin. Pour l’instant, on va vers la catastrophe, mais il faut parier sur l’improbable. L’histoire l’a montré à de multiples occasions. Là où nous allons finir dépend de nous. »
Le penseur américain Andrew Cohen, fondateur de l’association « évolutionnaire » EnlightenedNext, confirme : « Il y a des potentiels inimaginables, extrêmement positifs, dans les défis auxquels on fait face. Il faut croire en la possibilité de leur émergence… » Et agir en ce sens, sans attendre le miracle, par la mise en mouvement de nos consciences individuelles et collectives. « Le temps nous est compté, car les comportements égoïstes et irresponsables continuent leur œuvre de sape des sociétés humaines et de destruction des écosystèmes de la planète. Nul ne sait où ni quand se situera le point de non retour. Raison de plus pour aller de l’avant ! » conclut Frédéric Lenoir.
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